mardi 23 décembre 2014

"Gaby Baby Doll" de Sophie Letourneur

Je ne connaissais pas Sophie Letourneur, jeune réalisatrice dont je suis allé voir le troisième long métrage : Gaby Baby Doll. L'histoire de ce film très poétique est difficile à décrire : une jeune femme vient vivre à la campagne pour apprendre à vivre seule. C'est un film sur les rituels, les liens, la condition humaine. Bien des sujets qui auraient pu être traités de façon très dramatique par le cinéma français (fort heureusement, ici, peu de cigarettes et de barbes de trois jours) et où le personnage insupportable et électrique de Gaby, joué par Lolita Chammah, nous emmène s'en en avoir l'air. 

Lolita Chammah
(source : Siren-Com, licence CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons)

Le film se passe dans un petit village de France où notre héroïne cherche chaque soir une personne pour l'accompagner dans le sommeil qu'elle ne peut trouver seul. Cette terre boueuse et sans fards n'est pas une campagne idéalisée par le cinéma parisien, elle n'est pas poétique, elle est simplement montrée telle qu'elle, brute. 

Film sur le rite, donc, auquel on peut associer cette phrase de Proust : "Les jours avaient succédé aux jours, ces habitudes étaient devenues machinales, mais comme ces rites dont l'Histoire essaye de retrouver la signification, j'aurais pu dire (et ne l'aurais pas voulu) à qui m'eût demandé ce que signifiait cette vie de retraite où je me séquestrais jusqu'à ne plus aller au théâtre, qu'elle avait pour origine l'anxiété d'un soir"[1].

(source : AlloCiné)
Dans des scènes à répétition, le spectateur est amené à observer les micros variations qui s'opèrent dans le personnage de Gaby et de son compagnon/psy/homme sauvage Nico, interprété par Benjamin Biolay. À travers le rituel de sa promenade, Nico parvient petit à petit à sortir Gaby de sa dépression. Seul (gros) défaut, comme beaucoup de films français, Gaby Baby Doll ne sait pas vraiment finir et termine avec un petit décalage par rapport à la poésie temporelle du film. On note également quelques petites erreurs de montage dans les costumes.



Gaby Baby Doll de Sophie LETOURNEUR
Durée : 88 minutes
Date de sortie en France : 17 décembre 2014
Mon avis : 3/5

***

[1] Marcel PROUST, La Prisonnière, Paris, Librairie Générale Française, 2008, p. 135

samedi 20 décembre 2014

"Le Hobbit : la bataille des cinq armées" de Peter Jackson

Lorsque je suis allé voir Le Hobbit : la bataille des cinq armées de Peter Jackson, je ne m'attendais pas à aller voir un chef d'oeuvre du cinéma. Mais considérant tout de même que le cinéma reste un art (le septième en l'occurence), même lorsqu'il est populaire, je m'attendais à ressentir des émotions. Le cinéma américain nous l'a prouvé récemment, que ce soit dans Gravity ou Interstellar : on peut faire un film dédié aux masses et faire un objet artistique de qualité. Or, en voyant ce film, j'ai immédiatement pensé à Hannah Arendt qui prédisait déjà il y a bientôt un demi-siècle : "Quand livres ou reproductions sont jetés sur le marché à bas prix et sont vendus en nombre considérable, cela n'atteint pas la nature des objets en question. Mais leur nature est atteinte quand ces objets eux-mêmes sont modifiés - réécrits, condensés, digérés, réduits à l'état de pacotille pour la reproduction ou la mise en image. Cela ne veut pas dire que la culture se répande dans les masses, mais que la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir."[1]

N'oublions pas que Le Hobbit est avant tout un très beau livre de J.R.R. Tolkien, universitaire britannique qui, en 1937, invente cet univers mêlant les folklores européens et son imagination pour donner naissance à ce roman qui sera suivi par la célèbre trilogie du Seigneur des Anneaux. L'histoire seule promettait donc une belle mise en images.

A line-up of the American second edition printings of The Hobbit
(source : Strebe, domaine public, via Wikimedia Commons)
Mais passons au film justement. Le problème de ce film a été pointé par Noémie Luciani dans sa critique dans Le Monde du 9 décembre 2014"Indubitablement, la matière s’épuise. Avec Le Seigneur des Anneaux, Peter Jackson avait adapté les trois gros tomes du livre en trois gros films (près de douze heures en tout si l’on cumule les versions longues), qui avaient néanmoins nécessité un certain nombre d’ellipses. Pour Le Hobbit, c’est un très petit livre, écrit par J.R.R. Tolkien en préambule au Seigneur des Anneaux, qu’il adapte à nouveau en trois gros films, de près de trois heures chacun."[2]

The Hobbit: The Battle of The Five Armies Teaser
(source : BagoGames, licence CC BY 2.0, via Flickr)
Tout est dit, ou presque. En effet, le film est trop long. Du point de vue du scénario, soyons clair, on ne comprend rien. Les plans rapides sur des personnages sans profondeur et sans enjeux émotionnels se succèdent. On est dans l'adrénaline et l'enchaînement de plans de batailles monumentales. Le film se résume à ça. Ce qui est le plus grave, ce sont les grands moments d'amateurisme pour un film ayant un tel budget. En voici un exemple : la ville est assiégée par les méchants (orcs, trolls, etc.) et les villageois courent, affolés. Quand soudain, en haut à gauche de l'image, ces mêmes villageois qui courraient se mettent à marcher calmement en arrivant au bout du décor, croyant être hors champ. Et l'image a été gardée au montage, faisant perdre au public tout sentiment d'immersion dans le film. 


Je ne pourrai pas vous dire comment le film se termine puisque (comme cela m'arrive rarement) je suis parti avant la fin pour ne pas continuer à perdre mon temps. 

Le Hobbit : la bataille des cinq armées de Peter JACKSON
Durée : 144 minutes
Date de sortie en France : 10 décembre 2014
Mon avis : 1/5

*****

[1] Hannah ARENDT, La crise de la culture, trad. Patrick Lévy, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p. 266
[2] Noémie LUCIANI, "Le Hobbit, la Bataille des cinq armées : Peter Jackson joue les prolongations", in LeMonde.fr, 9 décembre 2014

mercredi 17 décembre 2014

La future Philharmonie de Paris

Lorsqu'on aime la musique et qu'on vit à Paris, on peut regretter le petit drame actuel qui agite le monde musical : l'arrêt de la musique classique à la Salle Pleyel. Pour y avoir joué de nombreuses fois et malgré une acoustique loin d'être parfaite, on peut regretter qu'une salle proposant une programmation musicale de premier plan soit contrainte à changer radicalement de répertoire. 

Salle de spectacles Pleyel, Paris (France)
(source : Pline, licence CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons)

Le motif de cet arrêt ? Une nouvelle salle de concert exclusivement dédiée au concert symphonique est en construction dans l'Est de Paris. Et pour faire venir le public aisé de l'Ouest parisien vers le XIXe arrondissement, il fallait un geste fort. La Cité de la Musique qui est l'administrateur de la Salle Pleyel a décidé de tenter de faire migrer le public par le manque. Voici l'argument que développe Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris : "Avant l'inauguration de la Philharmonie, l'offre de grands concert "classiques" était de fait concentrée dans l'Ouest parisien, principalement à la Salle Pleyel et au Théâtre des Champs-Élysées. Aucune de ces deux lieux - dont le prestige n'est pas en cause ici - ne constitue une référence sur le plan de l'acoustique pour le répertoire symphonique. Au manque de volume s'ajoute le fait que les orchestre n'y préparent pas leurs concerts dans des conditions satisfaisantes, en raison de l'absence de salles de répétitions. [...] Enfin, la jauge limitée occasionne des prix de places trop élevés. Sans oublier que le déséquilibre en faveur de l'Ouest parisien risquait de s'accroître avec l'ouverture prochaine de l'auditorium de Radio France et de celui de l'Île Seguin."

L'argument ne tient pas. En effet, lorsqu'on a construit l'Opéra Bastille, dans l'Est de Paris, le public n'a pas quitté les deux salles précédemment nommées. Pour autant, si on peut regretter qu'une salle mythique se ferme à la musique classique (ce qui est en soi une régression), il ne faut pas oublier l'immense apport que constitue la Philharmonie dans le domaine musical parisien.

Philharmonie de Paris
(source : François Frémeau, licence CC BY-SA 2.0, via Flickr)
Un projet architectural mené par Jean Nouvel avec le premier grand bâtiment construit dans la capitale française en ce début de siècle. Une salle de concert promettant des prix bas, une visibilité toujours bonne (avec un public tout autour de la scène), des salles dédiés à la médiation culturelle et à la pédagogie. La Philharmonie marque aussi, avec le nouvel auditorium de Radio France, le retour des orgues dans les salles de concerts (elles avaient toutes disparues des salles parisiennes) avec la création d'un instrument monumental. 



Le fait que l'État et la Ville de Paris décident, en ces temps de disette budgétaire, de faire un geste fort en direction de la musique (et particulièrement de la musique classique) doit être souligné. Je pense que malgré la tristesse de ne plus entendre de concert symphonique à la Salle Pleyel, il faut se réjouir de ce magnifique projet qui rééquilibre l'offre musicale sur le territoire parisien et offre à la ville une salle de concert de dimension internationale à même d'attirer les plus prestigieux orchestres. L'ouverture de la Philharmonie de Paris est prévue pour le 14 janvier 2015.