mercredi 4 février 2015

Première soirée à la Philharmonie de Paris avec l'Ensemble Intercontemporain

Il aura fallu la construction de cette nouvelle salle pour que j'achète ma première place de concert en 10 ans ! Non pas que je n'aille pas au concert, mais j'ai toujours eu des invitations étant donné que je suis musicien. En voyant la foule immense qui venait écouter du Boulez et du Varèse ce soir là, on peut penser que l'effet de nouveauté a été prédominant chez de nombreux autres auditeurs. Il faut dire qu'elle me nargue chaque matin, cette Philharmonie de Paris, que je vois s'assembler morceau par morceau depuis un an tandis que je vais au conservatoire de Paris situé juste en face. 

La Philharmonie de Paris le 3 février 2015
(source : François Frémeau, licence CC BY-SA 3.0
2 400 personnes se sont donc pressées dans le XIXe arrondissement de Paris pour venir écouter l'Orchestre Intercontemporain et l'Orchestre du conservatoire de Paris dans un programme où j'ai vu la Salle Pleyel autrefois remplie d'à peine 100 personnes. Voilà qui contrera l'argument de ceux qui disaient que le public ne se déplacerait pas dans l'Est parisien. 

Lorsqu'on approche de ce bâtiment, on le trouve tour à tour immense, relativement modeste en taille, puis complètement démesuré. C'est clairement un geste architectural fort en ce début de XXIe siècle pour la ville de Paris. 

Détail du bâtiment de Jean Nouvel
(source : François Frémeau, licence CC BY-SA 3.0
Pour monter symboliquement vers la culture, on peut au choix emprunter un grand escalier, un chemin ou un escalator. C'est ce dernier choix que je fais, ne voyant pas encore bien les autres accès possibles dans le noir. Et là, la magie du bâtiment vers lequel on se dirige depuis plusieurs minutes où l'on remonte l'Allée du Zénith disparaît aussitôt. Draps tendus pour cacher le chantier, barrières vertes et grises de la ville de Paris pour bloquer l'accès aux travaux en cours, ambiance de parking souterrain avec fils qui pendent. Dommage de perdre cette magie d'aller au concert en passant par ce sas sans vie. Puis, nous arrivons dans le hall qui est un peu plus abouti. 

Les sols sont en pente, les plafonds (auquel sont suspendues de petites lamelles noires) sont ondulants ce qui donne l'impression d'être dans un vaisseau spatial, dans un navire, ou dans une dimension où, à l'instar de cette partie centrale molle et brillante du bâtiment qui semble de replier sur elle même, les formes sont mouvantes. L'impression générale est très agréable. 

Un personnel nombreux dirige la foule un peu perdue. J'ai un peu peur quand j'entends qu'il faut se rendre au sixième étage pour accéder au deuxième balcon, puis je réalise que ce hall où je me trouve est déjà au troisième étage du bâtiment. Dans les couloirs, trous au plafond, fils apparents, trous de prises électriques non installées. Pour rentrer sur le balcon, modules de construction posés sur les côtés. Bref, le chantier est loin d'être fini et on a l'impression d'un bâtiment déjà abîmé avant d'avoir démarré à cause de tous ces éléments manquants. 



L'intérieur de la grande salle de la Philharmonie de Paris
(source : François Frémeau, licence CC BY-SA 3.0
C'est alors qu'on rentre dans la grande salle de la Philharmonie de Paris. Et là, le sentiment est tout à fait magique. Les balcons flottent littéralement dans le vide ce qui peut donner une sensation de vertige au premier abord, d'autant que les sièges descendent à pic. L'avantage de cette pente raide est que chaque rang est placé très haut par rapport au précédent ce qui permet d'avoir une visibilité parfaite sans être gêné par les têtes. On a donc l'impression d'être dans des modules qui flottent dans l'air.

La première surprise acoustique est arrivée au moment où les musiciens arrivent un par un sur scène et commencent à s'échauffer ou à répéter leurs traits. Soudain, j'entends un son de trombone qui provient de derrière moi. Instinctivement je me retourne et je n'arrive pas à trouver d'où vient le son avant de voir le tromboniste à droite sur scène. Ce qui est admirablement réalisé c'est que les sons qui proviennent des instruments situés visuellement à gauche nous proviennent depuis la scène, mais également depuis la gauche derrière notre tête (c'est l'avantage de ces balcons flottants et des nuages harmoniques situés au plafond). 

L'Ensemble Intercontemporain sur scène
(source : François Frémeau, licence CC BY-SA 3.0

Puis l'Ensemble Intercontemporain démarre le concert. Au programme, Pli selon pli (Portrait de Mallarmé), pour soprano et orchestre, de Pierre Boulez. L'acoustique permet à la fois d'entendre précisément aussi bien un roulement de cymbale et trois harpes jouant pianissimo que le son global de l'orchestre. C'est précisément cette impossible équation entre détail et globalité que beaucoup de salle échouent à avoir. On est au départ un peu dérouté par le son stéréophonique qui résonne de tout autour de nous comme s'il provenait de baffles, mais on s'y habitue très vite. Cette sensation d'être entouré par le son nous fait totalement rentrer dans l'oeuvre musicale comme si on était assis au milieu de l'orchestre. La salle reste relativement éclairée durant le concert ce qui, soyons honnête, limite l'envie de dormir qu'on peut avoir dans d'autres salles très noires durant les représentations.

Quelques défauts acoustiques (l'acoustique de la salle est toujours en cours d'élaboration) s'il faut en nommer : les vents manquent de précision d'attaque quand celle des cordes et percussions est admirablement restituée et la salle ne marche pas très bien pour la voix. Il faut dire qu'elle est conçue pour l'orchestre. Mais dans un programme comme celui d'hier soir où l'on donne une oeuvre pour voix et orchestre, on reste un peu sur sa faim.

Soyons clairs, l'interprétation de Marisol Montalvo de l'oeuvre de Boulez est absolument magistrale. Le public ne s'y trompe pas qui la rappelle plusieurs fois sur scène. Mais depuis le deuxième balcon (il faudra que je teste différentes places) on l'entend clairement quand elle se tourne vers nous, mais dès qu'elle chante vers l'autre côté de la salle, le son de la voix paraît très distant par rapport à celui de l'orchestre. Peut-être l'ultime limite des nuages acoustique : un chanteur bouge quand il chante contrairement à un musicien qui joue depuis une place statique. Le renvoi du son de la voix est donc plus difficile, particulièrement dans une salle en forme d'arène. 

Malgré ce petit détail, la version dirigée ce soir par Matthias Pintscher est à la hauteur de la salle et on ne peut s'empêcher de penser que Pierre Boulez fut l'initiateur de l'Ensemble Intercontemporain et de la Cité de la Musique (ancêtre de la Philharmonie de Paris). Une sorte d'hommage indirect pour cette soirée. Le livret (en simple papier mais fort de 26 pages) est un outil didactique extrêmement bien réalisé avec notamment des analyses et des explications très pertinentes sur les oeuvres qui aident le public à comprendre la musique. 

L'Ensemble Intercontemporain et l'Orchestre du conservatoire de Paris
(source : François Frémeau, licence CC BY-SA 3.0
La deuxième partie du concert nous donne à entendre Amériques d'Edgar Varèse. L'un des premier gestes orchestral fort qui fait rentrer le XXe siècle dans le monde moderne, l'oeuvre de 1918 remaniée en 1929 est le premier opus "officiel" du compositeur qui a détruit toutes ses oeuvres précédentes. C'est finalement déjà une oeuvre de musique ancienne en 2015 et elle me permet d'entendre un orchestre symphonique plus traditionnel résonner dans cette grande salle, l'Orchestre du conservatoire de Paris venant jouer aux côtés de l'Ensemble Intercontemporain. Et l'impression de départ est confirmée. Je crois réellement que la Philharmonie de Paris a la meilleure acoustique du monde. Je n'ai de ma vie, ni ailleurs en Europe ni dans des salles américaines, entendu pareille acoustique au service de l'orchestre qui est ici magnifié. 

Cette expérience inouïe, au sens propre, m'a été rendue possible pour la somme de 5 €. L'accès à la musique dans une salle extraordinaire pour un prix inférieur à celui d'une place de cinéma. Si la Philharmonie de Paris continue cette politique tarifaire sur le long terme, c'est la garantie d'un nouvel élan fort pour la musique dite "classique" quand on voit que 2 400 parisiens sont venus écouter de la musique contemporaine ce soir. À noter également que de très nombreux concerts de la Philharmonie de Paris sont retransmis en direct et gratuitement sur internet pour ceux qui n'habitent pas la capitale. Le bilan ne peut être que positif. Après ce premier concert, je n'ai qu'une envie : retourner écouter des concerts à la Philharmonie le plus souvent possible. 

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