lundi 29 août 2016

"Rester vivant" de Michel Houellebecq

Une chose m'attire particulièrement dans l'oeuvre de Michel Houellebecq, c'est le regard qu'il porte sur le monde. Regard cru, désabusé, neutre. L'exposition "Rester vivant" présentée au Palais de Tokyo nous propose de découvrir le Houellebecq photographe, dessinateur, mais toujours écrivain et poète, les mots étant omniprésents dans ses oeuvres. De nombreux artistes ont navigué entre plusieurs arts, et bien qu'on sente que l'écrivain ait souvent besoin des mots à l'intérieur de ses oeuvres, cette exposition (très inspirée de La possibilité d'une île et de La carte et le territoire) découpée en plusieurs salles thématiques est un condensé de l'oeuvre littéraire de Michel Houellebecq, . 

Dans une pièce au look années 70 meublées de canapés marrons et blancs, sur un petit meuble, est posé une télévision diffusant une ancienne interview de Michel Houellebecq où il livre peut-être la clef principale de son style. Adolescent, il aimait à se poser à un endroit et à garder les yeux absolument immobiles et ouverts. "Tout ce qui traversait mon chant de vision était vu par moi avec neutralité" dit-il, précisant que c'est ce qui peut le mieux caractériser son style. 

Michel HOUELLEBECQ, Mission #001
(source : François Frémeau, licence CC BY-SA 4.0)
Il y a bien sûr un romantisme nostalgique dans l'oeuvre de l'écrivain, dans ses romans, comme dans ses photographies. Parlant de l'écrivain Jean-Louis Curtis dans La carte et le territoire, il écrit : "Il y a une vraie nostalgie, une sensation de perte dans le passage de la France traditionnelle au monde moderne. [...] C'est bien à tort au fond qu'on a catalogué Jean-Louis Curtis comme réactionnaire, c'est juste un bon auteur un peu triste, persuadé que l'humanité ne peut gère changer, dans un sens comme dans l'autre." [1] On peut ici faire un parallèle avec la pensée de Houellebecq lui-même qui offre dans cet exposition comme dans ses livres un questionnement sur la politique de la Cité, la mort, le territoire, l'Homme, les passions, l'attachement. Pour Michel Houellebecq, faire des photos, c'est une manière d'ordonner le monde. 

Les parties les moins convaincantes sont la plupart des vidéos, trop courtes, pas assez bien intégrées à l'exposition. Une seule exception, le diaporama captivant et hypnotique de son chien Clément décédé et qui clos l'exposition dans un moment assez rare où on voit apparaître un autre Michel Houellebecq. Ces photos sont diffusées en superposition avec A machine for loving d'Iggy Pop sur un texte (traduit en anglais) provenant de La possibilité d'une île.



Quelques autres artistes sont invités, comme Robert Combas qui a mis notamment en peinture de nombreux poèmes de Houellebecq. Une explosion de couleur qui suit la salle dédiée au voyage et à l'optimisme.

Robert COMBAS, Michel Houellebecq et son chien (et ami) Clément, technique mixte sur papier marouflé sur toile, 2016
(source : François Frémeau, licence CC BY-SA 4.0)
Car "Rester vivant" n'est pas une exposition déprimante, morbide ou terne, mais bien au contraire un violent face à face avec notre monde, ce que nous en avons fait, que cela nous plaise ou non. Une vision crue, neutre, souvent touchante, entre l'Homme et le monde qu'il façonne dans ce nouvel âge de l'Anthropocène.

Michel HOUELLEBECQ, Espagne #015
(source : François Frémeau, licence CC BY-SA 4.0)

On pourrait finalement relier cette exposition à la citation de Neil Young dans Extension du domaine de la lutte :

"Good times are coming
I hear it everywhere I go
Good times are coming
But they're sure coming slow." [2]

Une très belle critique de l'exposition est proposée par Marc Michiels sur Le Mot et La Chose.



Rester vivant de Michel HOUELLEBECQ
Du 23 juin 2016 au 11 septembre 2016
Palais de Tokyo
13 avenue du Président Wilson
75116 Paris
De 8,40 € à 10,40 €
Mon avis : 5/5

***

[1] Michel HOUELLEBECQ, La carte et le territoire, Paris, Flammarion, 2010, pp. 164-165
[2] Michel HOUELLEBECQ, Extension du domaine de la lutte, Paris, Éditions Maurice Nadeau, 1994 , p. 26